Aix-Les-Bains en Savoie, au Club Alpin Français,  rencontre avec Cédric Sapin-Defour, autour de son livre, Espresso, des chroniques du monde de l’alpinisme.  Cette rencontre est organisée en partenariat avec la Librairie des Danaïdes, une librairie indépendante, très dynamique et très sympa à Aix-Les-Bains !

Cédric Sapin Defour
Cédric Sapin Defour – Crédit Photo : Bruno Lavit

Qui êtes-vous Cédric Sapin-Defour ?

La question de l’identité est toujours assez floue. Quoi dire de soi-même ? Une solution paresseuse est de préciser quel est notre âge, notre lieu de vie, notre métier, ça peut raconter un peu de nous mais pas toujours. Disons que je suis un enfant du grand air qui tente de rester en mouvement, dans les montagnes ou ailleurs, là où la Nature, fragile de notre faute, est encore un peu décideuse et nous rappelle à notre petitesse. Ces lieux d’humilité et d’émotion. C’est cela qui fait sens dans ma vie, l’esthétique des éléments, la conscience de leur fragilité et le bonheur de m’y déplacer en toute liberté. Et bien sûr le partage car si les bonheurs peuvent se faire solitaires, ils sont décuplés lorsqu’ils réunissent les êtres.

Qu’est ce qui vous rend heureux et joyeux ?

Le beau et le bon.

Nos quotidiens sont parasités d’intentions négatives, de propos, d’actes, de valeurs éminemment dangereux ; une solution est de résister, de dénoncer et de lutter. Parfois il le faut, c’est impérieux, essentiel de fermer et de brandir le poing. Une autre est de mettre la lumière sur ce qui fait avancer joliment et simplement le monde, les initiatives allant dans le bon sens, celui de relations apaisées, celui de la solidarité, celui de la protection des êtres les plus cabossés par la vie. Ça paraît fleur bleue comme propos tout ça mais peu importe, cela réclame une forte dose de caractère et d’engagement. Il est plus aisé de bougonner. Alors quand je vois des êtres autour de moi œuvrer à ce que le monde tourne mieux, je loue leur audace, je loue leur capacité à s’oublier le temps d’une main tendue et cela me rend profondément heureux. D’un bonheur confiant en la suite. Et tout cela est drôlement contagieux.

L’alpinisme et l’écriture : un monde vu d’en haut et un autre vu du coin de l’œil, à la lueur de votre stylo, quel est le lien que vous faîtes entre les deux ?

C’est le charme du balancier.

Je vais en montagne pour le plaisir de jouer, pour le bonheur d’y vivre des expériences privilégiées. Lorsque je redescends, le meilleur moyen que j’ai trouvé – comme tant d’autres – pour prolonger la connexion avec les éléments, mes compagnons et les instants vécus là-haut, c’est d’écrire. Cela autorise une forme de rémanence du plaisir éprouvé. Et lorsque je deviens sec d’inspiration, je retourne en montagne retrouver, recouvrer le grain nourricier. C’est la meilleure excuse que j’ai piochée dans ma besace pour rester le plus de temps au grand air. Alors le balancier se met en œuvre et il berce joliment ma vie depuis des années.

Le second lien est celui du partage. Lorsque la vie nous a fait ce cadeau d’une passion, on brûle de la partager. Il est deux solutions : prendre les gens par la main et les emmener goûter à cette passion, pour moi la montagne. Ou leur ramener un petit bout de cette montagne en la racontant. Si écrire est un acte profondément égocentrique, il y a quand même, et c’est heureux, le désir de la transmission. Nous autres alpinistes, grimpeurs, skieurs sommes tous venus à la montagne grâce à la générosité d’un passeur. Un Homme, un livre, un film…en somme du récit.

La montagne, de tout temps, a fasciné l’être humain, comment définiriez-vous votre lien avec la montagne ?

La montagne porte en elle une haute dimension fantasmatique. Souvent noire d’ailleurs car la rhétorique première autour d’elle est celle du combat, des drames et de la mort. L’incarnation de la montagne est volontiers mortifère. À tort car la montagne douce, simple et heureuse existe et prédomine.

De mon côté, elle n’est qu’un magnifique tas de cailloux, de glace et de neige, je ne parle pas avec elle mais ce que j’éprouve dessus est source de sens dans ma vie. Il y a là-haut tout ce qui me remet à ma place et me construit : l’immensité, la beauté, la fragilité (de la Terre et de nos existences), la dureté qui réclame l’humilité et au-delà de tout l’amitié. Ce que l’on vit entre compagnons de cordée est d’une richesse indispensable à l’équilibre de ma vie.

Pour moi, la source de sens, elle est là, sur les sommets mais elle peut se loger n’importe où, dans la philatélie, le jardinage ou toute autre activité humaine. C’est de l’ordre de l’intime, aucune ardeur ne vaut mieux ou moins qu’une autre et je lutte chaque jour contre un petit complexe de supériorité que nous pouvons avoir nous les alpinistes, celui de croire que seule la montagne (sa fameuse altérité) peut offrir ces bonheurs profonds. Faisons attention à ce que la symbolique de l’élévation ne nous fasse pas regarder de haut le reste du monde.

A quoi pensez-vous lorsque vous êtes au sommet d’une montagne ?

À redescendre. Pour que la vie me donne l’occasion d’y remonter.

C’est très variable en fait ; en tout cas, il y a souvent la proximité des larmes. Des larmes de l’instant mais pas uniquement. Pleurer en montagne donne l’illusion de l’immédiateté, de larmes liées à l’intensité du direct mais souvent, ce sont des larmes d’un autre jour, d’une tristesse ou d’un bonheur passés, un de ces moments où l’on n’avait pas eu le temps, la permission ou l’audace des sanglots. Les larmes de la montagne sont des larmes à contretemps. Alors on se rattrape, c’est une belle place pour ça.

Dans votre ouvrage “Espresso”, nous découvrons un homme engagé, un mordu de montagne, plein d’humour avec un regard souvent amusé sur lui-même et sur ses pairs, pouvez-vous me dire comment naît l’écriture d’une chronique ?

Elle naît de l’observation du monde autour de moi (dont je fais partie intégrante). Je suis passionné par les Hommes, leurs talents, leurs forces, leurs fêlures, leurs incohérences. Leurs déséquilibres. Quand je suis en montagne et que je vis une situation précise, je me demande à quoi cela peut-il ressembler des choses de la « vraie vie. » Par exemple, la décision de continuer ou de faire demi tour ; quand la vie, ailleurs que dans l’action de gravir les montagnes, me propose-t-elle, m’impose-t-elle cela ? Et à l’inverse, quand j’écoute l’actualité de notre planète, politique, écologie, sociologie…je m’interroge sur l’illustration possible dans mes pratiques, dans ma gymnastique de montagne. C’est cette passerelle et ce miroir permanents qui m’intéressent.

Et au milieu de tout cela, quand l’humour s’invite au propos, la ligne directrice et non négociable est celle de ne pas oublier de me regarder moi-même, avant tout ; seule l’autodérision est valable sinon on sombre dangereusement dans le cynisme et le jugement stérile.

Vous êtes également professeur d’éducation physique et sportive, au regard de votre expérience de la vie, de la montagne, si vous aviez un message à transmettre à la jeunesse d’aujourd’hui, quel serait-il ?

Il y en a plusieurs et je leur martèle tous les jours. Les pauvres !

Celui de croire en eux bien sûr, celui de ne pas se résigner à l’inéquité de l’existence, celui de ne pas s’enfermer dans de dangereux entre- soi, celui du bonheur des choses simples…

Mais au beau milieu de tous ces messages que je tente de leur faire modestement passer, il en est deux qui me touchent plus fortement.

Je leur dis sans cesse de faire tout leur possible pour maîtriser la langue française. Notre langue est forte de ses nuances, de ses subtilités qui ne sont pas des préciosités et la maîtriser un tant soit peu est une force ; cela permet de comprendre le monde, de se faire entendre et de se défendre la cas échéant. Sans cela, le rapport aux autres est déséquilibré. Beaucoup de nos maux sont liés à l’incompréhension et à ses terribles complices que sont l’amalgame et la binarité. Alors je les prie d’être précis, nuancés, ils en seront d’autant moins vulnérables.

Et l’autre point est lié à la notion de danger. On crève de croire que notre société et nos vies ne sont que dangereuses. Certains savent très bien jouer de ces peurs, celles qui nous figent, nous crispent, nous endorment. J’invite les gosses à être lucidement audacieux et à ne pas croire que la vie n’est faîte que d’embûches. À lutter effrontément contre l’idée que seule la crainte donne la bonne réponse. Soyez-en s’il vous plaît persuadées les jeunes générations, le plus grand des risques que vous courez serait de croire que la vie n’est que dangers.

Retrouvez chaque semaine, une chronique de Cédric Sapin-Defour dans Alpine Mag !

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